Une société n’a pas de vie privée !
La Cour de Cassation a eu l’occasion d’affirmer ce principe dans le cadre d’une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 17 mars 2016.
Les faits de l’espèce sont les suivants : la propriétaire d'un immeuble l’a donné à bail à son fils pour y développer une activité de location saisonnière et de réception, et dont l'accès s'effectue par un passage indivis desservant également la porte d'accès au fournil du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie exploité par une seconde société. La société initiale reproche à cette seconde d’avoir installé sur leur immeuble un système de vidéo-surveillance et un projecteur dirigés vers ledit passage, la première société a saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile, pour obtenir le retrait de ce dispositif, ainsi qu'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à sa vie privée et de son préjudice moral.
Le préjudice moral réclamé nécessite l’établissement d’un postulat : reconnaitre la vie privée d’une société et par là même, reconnaitre son droit à la faire protéger et respecter.
La Cour de Cassation répond en mobilisant l’article 9 du Code civil, siège du principe de respect de la vie privée, ainsi rédigé :
Art 9 du Code civil :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
La Cour de Cassation a donc affirmé que :
Vu les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour ordonner le retrait du matériel de vidéo-surveillance et du projecteur, l'arrêt relève que l'usage de ce dispositif n'est pas strictement limité à la surveillance de l'intérieur de la propriété de M. et Mme X..., que l'appareil de vidéo-surveillance enregistre également les mouvements des personnes se trouvant sur le passage commun, notamment au niveau de l'entrée du personnel de la société, et que le projecteur, braqué dans la direction de la caméra, ajoute à la visibilité ; qu'il retient que l'atteinte ainsi portée au respect de la vie privée de la société constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant d'une telle atteinte, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Le motif de la décision est cristallin : « si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant d'une telle atteinte »
Pour obtenir une indemnisation du fait d’un préjudice moral subi par sa société, son représentant ne pourra donc pas invoquer d’atteinte à sa vie privée, mais seulement une atteinte :
- au nom de la société
- à son domicile
- à ses correspondances
- à sa réputation
La personnification des sociétés a une limite : jamais l’anthropomorphisme ne sera jusqu’au boutiste, et c’est fort heureux, puisqu’après tout, personne n’a jamais diné avec une personne morale.
Décision in extenso :