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L’indivisibilité des contrats
Le 24 mai 2016
L’avant projet du 29 avril 2016 déposé par le Ministre de la Justice M. Urvoas en Conseil des Ministres ne fera pas référence à cette terminologie.
La jurisprudence a développé des liens de dépendance entre les contrats qui peuvent justifier que l’indépendance d’un contrat rejaillisse sur l’autre contrat.
On pourrait raisonner selon ce principe : l’accessoire suit le principal. Le contrat principal va conditionner le sort des contrats qui lui sont accessoires. L’anéantissement d’un contrat va retentir sur un autre alors qu’il devrait lui survivre.
Voilà qui est on ne peut plus clair, et qui permettra d’appréhender beaucoup plus clairement la question des contrats indivisibles pour les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonannce de février 2016.
Les contrats indivisibles sont légion en droit des affaires
Les contrats indivisibles sont légion en droit des affaires. Ils renvoient aux contrats liés du fait de l’intention des parties de leur faire atteindre une cause commune.
Nous nous situons ici à la frontière entre la formation et l’exécution de contrats. L’indivisibilité des contrats renvoie à l’hypothèse de conclusion d’un contrat en principe indépendant de tout autre contrat, mais parallèlement de cela, un autre contrat est conclu dont on peut penser qu’il n’est pas sans lien économique et technique avec le premier contrat conclu.
En droit, l’effet relatif des conventions posé à l’article 1165 du Code civil veut que les contrats soient considérés comme autonomes l’un par rapport à l’autre dès lors que les parties n’aient pas lié le sort des contrats, y compris en cas d’identité partielle de partie.
Art 1165 Code civil : « Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121. »
Se pose donc la question de l’existence d’ensembles contractuels. On peut se demander si des contrats indépendants ne peuvent pas constituer un ensemble de contrats liés. Le principe est qu’il n’en est rien. On a retenu en jurisprudence l’existence d’ensembles contractuels dans des hypothèses où les parties avaient lié le sort d’un contrat à un autre contrat mais aussi sans avoir procédé expressément à de telles liaisons. Cela concerne 2 domaines principaux :
- Les groupes de contrats : mais il n’en reste rien en droit positif
- Les chaines de contrats translatives de propriété (homogènes ou hétérogènes) : on étend ici la responsabilité contractuelle entre des maillons qui n’ont pas contracté directement.
L’avant projet du 29 avril 2016 déposé par le Ministre de la Justice M. Urvoas en Conseil des Ministres ne fera pas référence à cette terminologie.
En effet, dans les chaines non translatives de propriété : il convient de respecter l’effet relatif des conventions. Par exemple dans un arrêt fondateur rendu par la Cour de Cassation en sa formation d’Assemblée plénière le 12 juillet 1991 dit Arrêt Besse applique la responsabilité délictuelle entre contrats au visa de l’article 1165 du Code civil qui renvoie à l’effet relatif des conventions, les deux contrats sont indépendants l’un de l’autre.
- Un contrat premier peut-il avoir une incidence sur un contrat second, même si les contrats sont par hypothèse indépendants l’un de l’autre ?
La jurisprudence a développé des liens de dépendance entre les contrats qui peuvent justifier que l’indépendance d’un contrat rejaillisse sur l’autre contrat.
Est-il possible de considérer que l’anéantissement d’un contrat principal va emporter l’anéantissement d’un contrat périphérique ?
La jurisprudence répond par l’affirmative, même la justification a varié selon les hypothèses. La jurisprudence s’est dans un premier temps référée à l’indivisibilité. Mais l’indivisibilité, dans le Code civil, n’est applicable qu’entre les obligations, ce qui est tout autre chose, cela concerne l’hypothèse de l’impossibilité de fractionnement du paiement de l’obligation.
L’obligation indivisible est celle qui ne se fractionne pas entre les héritiers du débiteur. Les dettes d’un débiteur passent à ses successeurs à proportion de leurs droits dans la succession, le créancier se retrouve avec une multiplicité de débiteurs. L’obligation indivisible ne se fractionnera pas au moment de la succession. C’est l’essentiel de l’indivisibilité successionnelle.
Aujourd’hui le Code civil ne porte pas les mentions adéquates : les références dans des arrêts sont par conséquent parfaitement discutables.
La jurisprudence a donné lieu à critique des demandeurs au pourvoi. Par exemple on a cherché à appliquer l’article 1131 Code civil dans ces hypothèses en invoquant l’indivisibilité et la cause : un contrat serait la cause d’un autre contrat. Ne peut emporter l’anéantissement de ce contrat secondaire qui n’aurait plus de cause.
Schématiquement, la première chambre civile de la Cour de Cassation optait plutôt pour une conception subjective de cette cause, tandis que la chambre Commercial optait plutôt pour une conception objective. En matière de location financière la Cour de Cassation en formation de Chambre Mixte a basculé sur une pure appréciation objective.
- L’anéantissement d’un contrat appartenant à un ensemble contractuel doit-il emporter l’anéantissement d’un autre contrat appartenant à cet ensemble ?
On pourrait raisonner selon ce principe : l’accessoire suit le principal. Le contrat principal va conditionner le sort des contrats qui lui sont accessoires. L’anéantissement d’un contrat va retentir sur un autre alors qu’il devrait lui survivre.
Mais quid du contrat de financement qui avait servi à financer un contrat de vente ou prestation de service ? En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne devrait pas être affecté.
Les arrêts de Chambre mixte du 17 mai 2013 constituent une césure, même s’ils sont limités au problème particulier de la location financière. La Cour rappelle le principe : c’est l’effet relatif des conventions. Cependant, la chambre Commerciale est bien moins convaincue par ce raisonnement dans ce contentieux de la location financière, et considère qu’il fallait prendre en compte de façon objective l’économie de l’ensemble contractuel et éventuellement contredire la volonté affichée des parties lorsqu’elle ne correspondait pas à l’interdépendance objective des contrats : Com 15 fév. 2000.
Com 15 février 2000 : L’hypothèse est la suivante : un pharmacien conclut un contrat de prestation de service de marketing avec une société qui diffuse des images dans son officine.
Les contrats de prestation de service et de financement se trouvent être indivisibles, de telle façon que l’anéantissement du contrat de prestation de service emporte l’anéantissement du contrat de financement. La clause de dépendance et d’indivisibilité stipulée dans le contrat de financement doit être réputée non écrite. On ne peut pas stipuler contre la nature des choses.
On répute non écrite une clause qui heurte une indivisibilité essentielle. L’indivisibilité est de l’essence de l’ensemble contractuel. Cette jurisprudence est officialisée par la Chambre Mixte le 17 mai 2013.
Mais ces arrêts ne concernent que la location financière. Pour ce qui est du droit commun : la volonté des parties, la validité des stipulations qui portaient clause d’indépendance entre les conventions ou encore la clause de divisibilité entre les conventions prévalent.
La Cour de Cassation a précisé sa jurisprudence par 2 arrêts rendus par la première chambre civile le 10 sept. 2015 :
- Dans le premier, la Cour de Cassation va juger de manière très objectiviste en relevant un moyen d’office : après avertissement donné aux parties pour justifier de l’interdépendance entre les contrats. La Cour de Cassation retient une indivisibilité conventionnelle en s’appuyant sur les circonstances de conclusion des contrats de financement que sur la volonté des parties.
- Dans le second, la Cour de Cassation juge que la CA a correctement fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant que « le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en a justement déduit que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire »
Dans le même sens, la première chambre civile a jugé le 26 oct. 2015 : le contrat de crédit affecté et le contrat de vente ou de service qu’il finance étant interdépendants, la mention dans le second de paiement différé supplée le premier dans la modalité de remboursement : l’interdépendance contractuelle est appréciée de manière autoritaire au regard d’une interdépendance de plus en plus objective.
L’état des lieux du droit positif étant posé, parlons du droit prospectif : l’Ordonnance 10 fév. 2016 portant réforme du droit des contrats met un terme à ces tergiversations jurisprudentielles et énonce clairement :
Art. 1186 nouveau du Code civil « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.
La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
Voilà qui est on ne peut plus clair, et qui permettra d’appréhender beaucoup plus clairement la question des contrats indivisibles pour les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonannce de février 2016.